« Au lever du Soleil, ils[1] les[2] poursuivirent. Puis quand les deux groupes se virent[3], les compagnons de Moïse dirent : ‘certes, nous serons rattrapés’. Il[4] dit : ‘Que non, mon Seigneur est avec moi, Qui me guidera’ » (Coran 26 : 60-62)
« Ils[5] étaient alors dans la grotte et, lui[6], disait à son compagnon[7] : ‘Ne t’afflige point car Dieu est avec Nous’ » (Coran 9 : 40)
[1] Il s’agit du Pharaon de l’époque et de ses troupes
[2] Il s’agit de Moïse, Aaron (paix sur eux) et les gens qui les ont suivis pour quitter l’Egypte
[3] Il s’agit du prophète Muhammad (saws) et de son compagnon Abu Bakr
[4] Il s’agit de Moïse (paix sur lui)
[5] Il s’agit du prophète Muhammad (saws) et de son compagnon Abu Bakr
[6] Le prophète Muhammad (saws)
[7] Abu Bakr
Introduction
Selon les sources bibliques, l’Exode[1] a eu lieu il y a environ 1400 ans avant la naissance de Jésus (paix sur lui). Ce qui fait qu’entre elle et l’hégire qui s’est passé en 622, il y a environ 2000 ans environ. Et pourtant, c’est de continuité qu’il s’agit et non pas deux événements séparés sans aucun rapport entre eux. D’ailleurs, il y a déjà une prémisse à cette compréhension que nous avons de la relation entre ces deux événements, à travers l’expression du prophète : « Je suis plus digne que vous de Moïse »[2]. Dans les lignes qui suivent, le but est de montrer à la guidance du Coran, qu’il existe un dénominateur commun ou un même fil conducteur pour ces deux événements.
Les étapes-clés de l’Exode selon le Coran
Le récit de l’Exode dans le Coran comporte des convergences avec celui de la Bible mais aussi des points de divergence.[3] La recension des versets « éparpillés » dans le Coran qui parlent de cet événement fournit suffisamment d’informations pour que la méditation et la réflexion approfondie aident à en saisir le fil conducteur en rapport avec l’Hégire. Mais avant d’arriver à cela, examinons de près les étapes clés de l’Exode à la lumière du Coran.
Au temps du prophète Moïse (paix sur lui) bien après le rappel à Dieu du prophète Joseph (paix sur lui) qui a eu à occuper le poste d’intendant d’Egypte à l’époque, le peuple d’Israël[4] est maintenu dans la servitude et l’esclavage pendant quatre siècles selon les sources bibliques. Ce pharaon a eu vent que c’est un garçon de ce peuple qui va faire s’effondrer son pouvoir. Il planifie alors un génocide qui cible les nouveau-nés israélites tout en épargnant les filles. Par l’intervention de Dieu, Moïse (paix sur lui) échappe à l’assassinat à sa naissance et grandit dans la maison du pharaon qui l’a accepté par compassion pour son épouse qui n’avait pas d’enfant. En grandissant, Moïse (paix sur lui) commence à reconnaitre les membres de son peuple et voit leur état de démunis et d’asservis. Un jour, il intervient pour porter secours à un israélite comme lui malmené par un copte[5] et dans la rixe, un coup lui échappe et tue ce dernier accidentellement. Puis, après, il intervient dans une autre rixe mais cette fois-ci, le même israélite qu’il avait aidé la veille, lui lance des propos désobligeants et le présente comme un délinquant et fauteur de troubles. Quelqu’un lui annonce qu’il est recherché par les forces du pouvoir et Moïse (paix sur lui) s’échappe alors hors d’Egypte.
Des années plus tard, Moïse (paix sur lui) revient en Egypte avec sa famille. Mais en cours de route entre son lieu d’exil et l’Egypte, Dieu se manifeste à lui par des signes et une voix qu’il entend et comprend. Il est chargé par Dieu d’appeler le pharaon à accueillir favorablement son message en tant que prophète du vrai et unique Dieu, de rappeler aux israélites la foi de leurs pères notamment Jacob, Isaac et Abraham (paix sur eux) et d’accomplir assidument la prière. A cette fin, Dieu attribue au bâton de Moïse (paix sur lui) et sa main des pouvoirs miraculeux. Arrivé en Egypte, il retrouve son frère Aaron (paix sur lui) et demande à Dieu d’en faire une sorte de porte-parole, ce que Dieu accepte. Bien qu’il a interpellé le pharaon de l’époque avec sagesse, vaincu ses magiciens et accompli par la permission de Dieu nombre de miracles, celui-ci reste constant dans son arrogance et menace d’exterminer le peuple d’Israël.[6]
C’est alors que Dieu commande à Moïse (paix sur lui) de quitter de nuit la terre d’Egypte avec ceux qui voudraient le suivre. Ne s’étant rendu compte de rien, tôt le matin le Pharaon et ses troupes se mettent à leurs trousses. Arrivée en face de la mer et voyant les troupes de Pharaon venir à toute allure, la foule est saisie de panique pensant qu’elle sera inéluctablement rattrapée : « Au lever du Soleil, ils les poursuivirent. Puis quand les deux groupes se virent, les compagnons de Moïse dirent : ‘certes, nous serons rattrapés’. Il dit : ‘Que non, mon Seigneur est avec moi, Qui me guidera’ » (Coran 26 : 60-62). Toute la foule traverse à gué la mer dont les flots sont miraculeusement suspendus en l’air après le coup de bâton que Moïse (paix sur lui) lui a donné sur commandement de Dieu. Quand Pharaon et ses troupes s’y engouffrent, les flots les enveloppent et ils sont tous noyés. Après la traversée de la mer, le peuple d’Israël se rebelle à maintes reprises contre Dieu à travers des plaintes incessantes adressées à Moïse (paix sur lui) et des entorses morales graves. C’est ainsi que les israélites iront jusqu’à remettre en cause le dogme de la foi au Dieu d’Abraham à travers l’adoration d’un veau fabriqué par la main de l’homme, par imitation d’un peuple idolâtre rencontré dans le désert.
Au retour du mont Sinaï où il est resté 40 jours pour recevoir la Thora, Moïse (paix sur lui) en déclame le contenu au peuple et lui rappelle que c’est d’un Pacte[7] éminent qu’il s’agit et qu’il faudra respecter scrupuleusement pour que Dieu soit à leur côté. Hélas, la Bible comme le Coran rapporte que le peuple d’Israël persiste dans la trahison du Pacte et finit par être puni à travers une condamnation décrétée par Dieu de pérégriner dans le désert du Sinaï pendant 40 ans. C’est durant ce temps dur et triste de purification que Moïse et Aaron (paix sur eux) sont rappelés à Dieu sans avoir accédé à la terre « promise ». Quand le peuple d’Israël entre dans cette terre après avoir accepté de combattre, ce qu’il avait refusé du vivant de Moïse (paix sur lui), le prophète[8] de cette époque leur désigne pour la première fois, sur ordre de Dieu, un roi en la personne de Tâlût[9]. Après ce dernier qui a gouverné sur la base des lois de la Thora, c’est David (paix sur lui) en tant que prophète et gouvernant et son fils Salomon (paix sur lui) qui vont régner toujours avec la même référence. Puis, après Salomon, c’est le déclin spirituel, moral et politique qui va marquer la vie du peuple d’Israël ponctué de quelques épisodes éphémères de redressement. En 586 avant Jésus (paix sur lui), l’invasion de Jérusalem par les forces babyloniennes et la destruction de son centre spirituel qu’est le Temple va être la plus grande tragédie vécue par ce peuple d’Israël qui a tellement trahi les termes de l’Alliance d’Abraham et les commandements de la Thora.
Les étapes-clés de l’Hégire
Environ 2000 ans après l’Exode, un descendant d’Ismaël (paix sur lui) reçoit les premiers versets du Coran que lui dicte l’ange Djibril (paix sur lui). Cet événement marque le début de sa prédication. Il s’appelle Muhammad (saws) surnommé « al amîn »[10] et le Coran dit qu’il a été annoncé dans la Thora et l’Evangile.[11] Le Coran rapporte l’annonce de la venue d’Ahmad[12] par la bouche de Jésus (paix sur lui).[13] Après une étape de prédication de proximité et cachée, les premiers à adhérer à son message subissent la répression des notables mecquois et un boycott socio-économique. Le messager de Dieu autorise un groupe de ses compagnons à émigrer en Abyssinie[14], environ 5 ans après le début de l’appel islamique. Après une tentative infructueuse à Taïf[15], le messager de Dieu (saws) accomplit le voyage nocturne. Puis à deux reprises, il rencontre des délégations venant de Yathrib[16] durant les temps de pèlerinage à la 12e et 13e année de l’appel islamique. Ces hommes et femmes de Yathrib adhèrent à l’islam et acceptent le pacte d’allégeance qu’il leur propose. Ensuite, le messager dépêche le jeune Mus ‘ab ibn ‘umayr comme son représentant et prédicateur-enseignant à Yathrib tout en laissant le loisir à chaque individu musulman d’organiser son départ vers cette vielle. Le messager quant à lui reste dans l’attente d’un ordre divin lui enjoignant de quitter la Mecque. Cet ordre vient après que les notables de la Mecque ont tenu une réunion pour en finir avec l’appel islamique. Les trois options retenues lors de cette assemblée des notables sont rapportées par le Coran : « (Et rappelle-toi) le moment où les mécréants complotaient contre toi pour t’emprisonner ou t’assassiner ou t’exiler. Ils complotèrent. Ils complotèrent mais Allah a déjoué leur complot et Allah est le meilleur en stratagèmes » (Coran 8 : 30)
L’ange Djibril donne l’information au messager de Dieu qui sait alors que c’est en même temps un signal fort pour son départ car c’est directement à sa vie que veulent s’en prendre dorénavant les Mecquois. Il informe son neveu Ali et grand ami Abu Bakr, le premier pour qu’il dorme dans son lit et le second pour qu’il mette en branle le plan de départ qu’il avait concocté. Dans une première étape de l’Hégire qui se passe en 622 du calendrier grégorien le messager de Dieu et son compagnon Abu Bakr se cachent dans une grotte pas loin de la Mecque dans une direction opposée à celle de Yathrib. Abu Bakr se soucie beaucoup de la sécurité du messager de Dieu alors qu’ils sont dans une grotte infestée de dangereuses bestioles. C’est ainsi que les premiers Mecquois partis à leur poursuite se rapprochent tellement de la grotte qu’Abu s’écrie : « O envoyé de Dieu, s’ils se baissent, ils nous verrons ! » A quoi le messager de Dieu répond : « O Abu Bakr, que penses-tu de deux (compagons) qui en ont pour troisième Dieu ? » cet épisode est rapporté par le Coran : « Ils étaient alors dans la grotte et, lui, disait à son compagnon : ‘Ne t’afflige point car Dieu est avec Nous’ » (Coran 9 : 40)
Après environ deux semaines, le messager de Dieu et Abu Bakr arrivent à Yathrib non sans avoir esquivé nombre de tentatives des chasseurs de prime partis à leur recherche et d’autres dangers. Dans ce cadre, l’émérite Suraqa qui les retrouve voit les pattes de son cheval s’enfoncer toujours plus dans le sol à chacune de ses tentatives de s’approcher de trop près du messager de Dieu (saws). Ils sont accueillis par une foule en liesse et tout le monde se dit honoré d’être l’hôte du messager de Dieu.
Articulations entre Exode et Hégire
Par sa réponse « je suis plus digne de Moïse que vous », le messager de Dieu (saws) entend dire aux juifs que c’est lui qui assure la continuité de ce même message qui n’est autre que l’islam. En d’autres termes, il leur reproche de rester attachés à Moïse (paix sur lui) beaucoup plus pour des raisons de filiation tout en le trahissant quelque part vu qu’ils refusent de croire en lui comme le sceau des prophètes annoncés aussi bien dans la Thora que dans l’Evangile. L’Exode a quelque chose à voir avec l’Hégire en ce que dans les deux évènements, le fil conducteur réside dans le plan divin consistant à accorder son soutien à Ses messagers afin que s’établisse l’islam qui est la seule religion de tout temps qu’Il a agréée pour l’humanité. Dieu fait triompher Moïse (paix sur lui) et ses compagnons comme Il le fait pour Muhammad (saws) et les siens afin qu’ils témoignent de l’islam pour toute l’humanité. Les fils d’Israël ont été délivrés du joug du Pharaon de l’époque de Moïse (paix sur lui) seulement afin qu’il soit Témoins de l’islam en ce temps dans un lieu que Dieu aura choisi en toute souveraineté et sagesse. En ce temps, seul le peuple d’Israël était dépositaire de l’Alliance du patriarche Abraham (paix sur lui). Ce peuple de l’Alliance, c’est le terme de la Bible, est pour le Coran aussi le peuple de l’islam : «Ce fut là ce que recommanda à ses fils ainsi que Jacob : ‘Ô mes fils ! C’est Dieu qui a choisi pour vous cette religion. Ne mourez donc point que vous ne soyez soumis[17] (muslimûn).’ » (Coran 2 : 132)
Donc, le peuple d’Israël a été libéré parce-qu’ il devait en retour incarner l’islam et pas du tout pour des raisons nationalistes ou raciales comme veut le faire croire le judaïsme rabbinique à travers la fausse conception des juifs « peuple élu » Comme Dieu a été à côté du peuple de l’islam qu’ont été Moïse, Aaron et leurs compagnons, Il fera de même pour Muhammad et ses compagnons qui à leur époque l’ont (le peuple d’islam) représenté. C’est en cela qu’on comprend les expressions résolues et décisives de ces deux prophètes (paix sur eux), face à une contrainte humainement insurmontable sur le chemin de l’Exode pour le premier et de l’Hégire pour le second : « Dieu est avec moi », « Dieu est avec nous »
Ahmadou Makhtar kanté
Imam, écrivain et conférencier
[1] C’est le nom que donne la Bible à la sortie des israélites de l’Egypte sous la direction de Moïse et son frère Aaron (paix sur eux)
[2] Selon les hadiths, les juifs de Médine répondent au prophète (saws) qu’ils jeûnent ce jour à l’instar de Moïse (paix sur lui) pour témoigner sa gratitude à Dieu qui délivré le peuple d’Israël du joug du Pharaon de l’époque.
[3] Nous voulons dire ici par divergence, ceci : les mêmes événements de l’Exode rapportés de façon différentes mais aussi, des évènements rapportés par la Bible qui ne figurent pas dans le Coran et vice-versa. Reste à expliquer ce qu’on peut comprendre de ce constat.
[4] Ce sont les descendants d’Israël qui est un surnom de Jacob (ya ‘qûb dans le Coran), fils d’Isaac (Ishâq dans le Coran), deuxième fils d’Abraham après Ismaël (Ismâ ‘îl dans le Coran).
[5] Ce sont les autochtones d’Egypte
[6] « Et les notables du peuple de Pharaon dirent : “Laisseras-tu Moïse et son peuple commettre du désordre sur la terre, et lui-même te délaisser, toi et tes divinités ? ” Il dit : “Nous allons massacrer leurs fils et laisser vivre leurs femmes. Nous aurons le dessus sur eux et les dominerons.” » (Coran 7 : 127) et aussi : « Et Pharaon dit : « Laissez-moi tuer Moïse… » (Coran 40 : 26)
[7] Le terme coranique est « mîthâq »
[8] Il s’agit de Samuel selon la Bible, les commentateurs du Coran parlent lui donnent le nom arabisé de Chamwîl
[9] Il s’agit de Saul de la Bible. A noter que cette désignation s’est faite sur insistance des israélites qui pour nombre d’entre eux ont fui le combat après.
[10] Souvent traduit par « le digne de confiance » un qualificatif qu’il avait reçu de sa communauté avant d’être dépositaire de la révélation du Coran.
[11] « Ceux qui suivent le Messager, le Prophète illettré qu’ils trouvent mentionné chez eux dans la Thora et l’Évangile. Il leur ordonne le bien, leur défend le mal, leur rend licites les bonnes choses, leur interdit les mauvaises, et les libère de la charge et des carcans qui pesaient sur eux. Ceux qui croient en lui, l’honorent, lui portent secours et suivent la lumière descendue avec lui, ceux-là sont les bienheureux » (Coran 7 : 157)
[12] Un autre nom du prophète Muhammad (saws) qui veut dire le « plus digne d’éloges »
[13] Et quand Jésus fils de Marie dit : «Ô Enfants d’Israël, je suis vraiment le Messager d’Allah [envoyé] à vous, pour confirmer ce qui, dans la Thora, est antérieur à moi, et annonciateur d’un Messager à venir après moi, dont le nom sera «Aḥmad». Puis quand celui-ci vint à eux avec des preuves évidentes, ils dirent : «C’est là une magie manifeste». (Coran 61 : 6)
[14] Ancien nom du territoire qui correspond actuellement approximativement à l’Ethiopie.
[15] Contrée située à environ 65 km à l’est de la Mecque.
[16] Ancien nom de la ville de Médine.
[17] C’est le terme « muslimûn » qui est utilisé dans ce verset.